Il était une fois, dans la cité ensoleillée d’Aoste, une voyageuse qui se présenta aux portes de la grande station des caravanes célestes. S’approchant du navigateur des routes dorées, elle déclara d’un ton assuré : « Ô noble maître des routes, je désire me rendre à Morge, là où, dit-on, les dattiers dansent sous la lune ». Le navigateur l’invita donc à prendre place.

Sans tarder, la caravane mécanique s’ébranla, serpentant à travers montagnes et vallées, franchissant des ponts suspendus entre les nuages. Après un long périple, ils atteignirent la station de Martigny, un lieu de passage gardé par les esprits des cimes helvétiques.

Mais là, ô surprise ! La voyageuse éleva la voix d’un ton presque plaintif, les larmes perlant sur ses joues comme la rosée du désert :

« Par les sabres de Saladin ! Ce n’est point ici que je voulais aller ! Je parlais de Morgé, ce hameau discret enfoui dans les vallons enchantés du Valais d’Aoste ! »

Un silence tomba, puis une douce hilarité parcourut les voyageurs et voyageuses. Car la méprise était grande : au lieu de franchir quelques dunes, elle avait traversé les royaumes, se retrouvant exilée au pays du vin et du chocolat, sans tapis volant, ni monture nocturne pour la ramener. Le dernier dromadaire-bus venait de partir, et les génies des taxis semblaient eux-mêmes s’être endormis.

De Morges à Morgé, il n’y avait que deux lettres… mais cent soixante kilomètres de sortilèges et de montagnes.

Et c’est ainsi que, dans un éclat de rire partagé entre les sphères, la dame entama sa quête du retour, espérant qu’un tapis ou une lampe magique se présenterait sur son chemin.

Au cœur des montagnes majestueuses, là où le Mont Blanc veille sur les vallées comme un sultan de pierre, serpente la ligne du Mont Blanc Express, un ruban de fer tissant des liens entre les villages perchés. Alors que les feuilles d'automne embrasaient les versants d'un or mélancolique, les artisans de la voie, nos fidèles bâtisseurs de chemins, s'affairaient dans les entrailles du tunnel du Bourgout. Leur mission : revivifier les fondations de ce passage séculaire, le préparant à accueillir de nouvelles générations de voyageurs avides de découvertes.

Sous la lumière vacillante de leurs lanternes magiques, les pioches résonnaient comme les chants sourds de génies endormis. La roche, mémoire silencieuse des âges, cédait peu à peu sous leurs efforts. Mais un jour, au détour d'une veine sombre, leurs outils heurtèrent non pas la pierre brute, mais d'étranges excroissances, vestiges oubliés d'une époque révolue.

L'étonnement se mua en murmures inquiets lorsque l'on reconnut la forme sinistre d'explosifs, figés dans le roc depuis la naissance même de la ligne, il y a plus d'un siècle. Des reliques du temps où les pionniers, avec audace et force brute, avaient éventré la montagne pour ouvrir cette voie sacrée. Ces dormeurs de poudre, réveillés par inadvertance, portaient en eux le souffle potentiellement destructeur d'un passé lointain.

Aussitôt, le chantier s'immobilisa, suspendu comme un conte interrompu. Le Maître des Ouvriers ordonna la prudence et fit appel aux Sages de la Sécurité, des experts dont la science arcane permet de déjouer les pièges du destin. Ils examinèrent ces vestiges avec une attention méticuleuse, sondant leur âme de poudre, cherchant à apaiser leur potentiel courroux.

Le temps semblait suspendu, chaque tic-tac des montres une incantation anxieuse. Les esprits s'interrogeaient : le tunnel, gardien de tant de voyages, recelait-il encore des secrets dangereux ? Les récits des anciens revinrent à la mémoire, évoquant les défis titanesques de la construction, les risques encourus par ces premiers bâtisseurs.

Finalement, après des heures d'étude et de consultations mystérieuses, les Sages de la Sécurité rendirent leur verdict : les dormeurs de poudre, bien que vestiges d'un âge révolu, ne représentaient plus une menace pour les courageux artisans. Le temps, ce grand alchimiste, avait apaisé leur ardeur.

Un soupir de soulagement collectif parcourut le tunnel. La lumière des lanternes brilla d'une intensité nouvelle, chassant les ombres de l'incertitude. Avec une détermination renouvelée, les équipes reprirent leur tâche, honorant la mémoire de leurs prédécesseurs en achevant leur mission dans les délais impartis.

Ainsi, le tunnel du Bourgout conserva son secret, une histoire murmurée dans les entrailles de la montagne, rappelant que même sous la plus belle des entreprises se cachent parfois des échos d'un passé audacieux. Et grâce à la vigilance et au savoir-faire des artisans des TMR, le voyage put se poursuivre, enchanté et sûr, à travers les paysages intemporels du Mont Blanc Express.

Un jour, à bord du Mont-Blanc Express, un vieil homme monta avec un petit sac et un flacon de verre bleu. En pleine montée vers Finhaut, il ouvrit le flacon, murmura quelques mots… et un bouc apparut dans un nuage parfumé au jasmin.

Le bouc s’assit tranquillement sur un siège, face à son maître. Quand le contrôleur arriva, interloqué, le vieil homme déclara calmement : « Ce n’est pas un simple bouc. C’est mon conseiller spirituel. Il connaît les chemins entre les mondes. »

Personne ne sut quoi répondre. On le laissa terminer son voyage sans discuter.

Depuis, on dit que si le Mont-Blanc Express ralentit sans raison, c’est peut-être que le bouc est de retour… pour un nouveau voyage entre les mondes.

Par une matinée de brume, une jeune femme voilée de soie monta à bord du Mont-Blanc Express, tenant dans ses bras une cage couverte d’un tissu doré. À chaque virage, la cage semblait vibrer, et un chant étrange, presque humain, s’en échappait.

Intrigué, un voyageur osa demander :
« Quel oiseau chante ainsi, madame ? »
Elle répondit sans détour :
« Ce n’est pas un oiseau. C’est un rossignol qui a autrefois été prince. Il chante encore pour qu’on se souvienne de lui. »

À Vallorcine, elle descendit, et le chant cessa net. Certains affirment l’avoir encore entendu au passage suivant, porté par le vent entre les pins.